Par Joan FRANCÈS (ANCEF), avec la complicité de Bernard JEAN, directeur de l’ANCEF de 2005 à 2014
Créée en 1971 par une poignée de skieurs de fond passionnés par le ski, l’environnement dans lequel ils vivent et évoluent, l’envie de transmettre, d’accueillir, d’échanger, de découvrir, l’ANCEF fête aujourd’hui ses 50 hivers. Ces précurseurs, humanistes, ont mis sur les rails une pratique originale, le « tout compris », géré par les ruraux. L’évolution de la société a bien sûr influé sur ces militants qui ont gardé leur philosophie de mettre l’humain au cœur de leur jardin d’hiver. Voici en quelques lignes la saga d’une vie constructive qui perdure.
La sagesse active d’une quinquagénaire
Voilà une cinquantaine d’années, l’ANCEF, Association Nationale des Centre Ecoles et Foyers de ski de fond voit le jour. Certains diront que les jeux olympiques de Grenoble (1968), où le ski de fond était présent et télévisé, ont eu une incidence sur le développement de cette pratique. Certes, mais la marche en avant était déjà fortement engagée. Relevons dans la revue n°1 de l’ANCEF, les propos de Pierre Gallet, membre fondateur de l’association nationale « En 1960, les premiers foyers de ski de fond prennent forme et corps, sous l’impulsion des services départementaux de la Jeunesse et des Sports, dans l’indifférence générale qui considère que c’est une entreprise des plus anachroniques que le siècle du modernisme ait connue. 1969, les premiers Centres école de ski de fond se développent à leur tour, avec une vocation nouvelle, l’accueil touristique. C’est en 1971, à Autrans, que s’est tenue l’assemblée constitutive de l’ANCEF ».
Dans la foulée en 1972, la revue Ski de Fond de France voit le jour. Reprenons une partie de l’éditorial signé Pierre Gallet. « Il faut que chacun contribue à sa manière à œuvrer pour le développement d’une certaine voie que nous frayons pour le ski de fond, qui est en voie sociale. Nous avons la prétention de soutenir le paradoxe que cette activité, qui est ancestrale et anachronique, est merveilleusement adaptée à l’homme moderne pour sa recherche d’équilibre dans une société qui le malmène bougrement. A condition qu’on sache se servir du ski de fond, qu’on sache lui aménager un contexte, un environnement, une ambiance. Et c’est bien là le nid de notre philosophie, la motivation profonde qui nous impulse, la direction que nous voulons suivre. Que le ski de fond nous serve à tous de prétexte à retrouver une discipline de vie… ».
Le ski de fond est devenu aujourd’hui « activité nordique », la revue « Ski de fond de France » s’est transformée en « Présence Nordique », mais la philosophie de l’ANCEF est toujours dans le droit fil de celle de ses créateurs.
Les trois mousquetaires étaient cinq
Ils étaient trois membres fondateurs d’une structure associative qui est encore vivante et active cinquante ans plus tard. Bernard Gentil, paysan, pasteur de l’église réformée, installé dans la vallée du Queyras (Hautes-Alpes). Il crée en 1960, la Maison de Gaudissard, Centre Ecole de Ski de fond. Le pasteur protestant Jacques Cadier, originaire de la vallée d’Aspe dans les Pyrénées, dirigeait dans le Queyras un centre de vacances UNCM (ancêtre de l’UCPA). Le troisième mousquetaire c’est le commandant Alfred Sheibling. Détaché par le ministère des Armées pour coordonner les épreuves de ski de fond aux Jeux Olympiques. Il quittera ses compagnons sur décision de ses supérieurs qui lui demanderont de ne plus participer aux travaux de l’ANCEF. A ces trois précurseurs sont intimement associés deux conseillers techniques hors pair. Pierre Gallet, savoyard de l’équipe, probablement le plus actif contributeur à l’architecture idéologique de l’ANCEF. Pour lui, le ski de fond ne devait pas être une activité pratiquée « hors sol ». Ses fonctions d’enseignant à l’Ecole Normale de Chambéry, lui avaient donné tous les outils méthodologiques pour définir une nouvelle approche de l’enseignement du ski de fond. Un projet partagé par Claude Terraz, issu du milieu de la compétition, auteur d’un ouvrage sur la technique en la matière, premier conseiller technique régional de ski de fond en 1987, membre du Comité d’Organisation des Jeux Olympique de Grenoble en 1968.
Un projet économico-écolo
Dès le départ, et pour ses membres fondateurs, l’homme est au cœur du système. Tout est mis en œuvre pour contribuer à son évolution personnelle. Basé sur des fondements humanistes, pour l’ANCEF, le ski de fond est le dénominateur commun à la diffusion de nombreux savoirs. Le volet du développement territorial, respectueux de son environnement, favorise le projet économique de petites communes rurales de moyenne montagne. Les notions de développement concerté, durable, font partie de cette approche territoriale. Le but est bien d’accueillir des membres usagers de toutes origines, de toutes régions ou pays, de tous niveaux, dans des maisons, fermes, mas… Nourris, logés, équipés du matériel adéquat, ils vont découvrir la nature enneigée, en glissant sur les sentiers forestiers, accompagnés par des animateurs de ski. Les accueillants sont pour la plupart des locaux, formés aux différents métiers, accueil, service, cuisine, animation, encadrement du ski. Au-delà du projet économique, l’objectif est bien de favoriser les échanges culturels entre séjournants et habitants permanents.
Former et se former
Au début, l’enseignement du ski de fond n’était pas encore professionnalisé. La Fédération Française de Ski dispensait ses formations fédérales pour l’encadrement bénévole. Elle délivrait des qualifications d’initiateur, d’instructeur et d’entraîneur avec des objectifs centrés sur la pratique de la compétition dans ses clubs. Au sein de l’ANCEF, se crée une commission enseignement. Elle met en place un cursus de pré-animateur, d’animateur et d’animateur de raid nordique. Orienté sur l’approche pédagogique, les acquisitions techniques, la sécurité, la transmission des connaissances relatives au patrimoine naturel et humain sont au programme de ces formations. On est loin de l’approche compétitive. C’est le résultat d’un long travail de réunions, d’échanges de pratiques, qui font aussi le sel de l’ANCEF. Puis le Brevet d’Etat pour enseigner le ski de fond est créé. La formation très axée au départ sur la compétition, embrasse aujourd’hui l’ensemble des modules formatifs développés à l’époque par la commission enseignement de l’ANCEF au travers de la formation d’animateur de ski de fond.
La loi montagne, un tournant
Dans les années 70, tout était à construire, à fédérer, à dynamiser. Les lieux de pratique étaient tracés à ski par des passionnés et par les groupes pratiquants et leur moniteur, qui damaient une boucle pour donner leur cours. L’accès au ski de fond était de ce point de vue gratuit. Puis, petit à petit, la mécanisation du damage de la neige va s’instaurer et se développer. D’abord avec l’aide de scooters des neiges, puis d’engins à chenilles plus sophistiqués, plus importants, qui vont entraîner des coûts d’investissement et de fonctionnement que les communes ne peuvent plus supporter. La plupart des centres ANCEF, ou les communes ou syndicats de communes sur lesquelles ils sont implantés, réalisent des aménagements (accueil, balisage, damage, sécurité). Les pratiquants sont invités à participer, de manière volontaire dans un premier temps. Un autocollant est vendu 5 francs et apposé sur les skis. Hormis les centres ANCEF, peu de skieurs jouent le jeu. La loi montagne de 1985 va permettre aux communes « d’instaurer une redevance pour l’accès aux pistes et aux installations collectives destinées à favoriser la pratique du ski de fond ». Dans ces temps, pas si éloignés, il est commun de promouvoir le fait que « pour pratiquer le ski de fond, il suffit de savoir marcher ». L’apparition des skis à écailles et le traçage des pistes, facilitent l’accès à tous et donnent cette impression. Malgré les oppositions au traçage des pistes, le nombre de skieurs évolue, mais les pratiquants délaissent les cours d’apprentissage ou de perfectionnement. Le skieur ne glisse plus, il marche, souvent les skis dans les bras lorsque la pente ou la descente est trop marquée.
Les pistes au départ tracées en double permettant de skier côte à côte, vont s’élargir, avec au centre un plan lisse pour la pratique du skating, et de part et d’autre deux traces pour le classique. De nombreux skieurs passent à la raquette, d’autres se contentent de la marche. Le ski de fond devient une discipline parmi les activités nordiques en développement. Malgré une structuration nationale des sites français, sous le nom de « France ski de fond » devenue « Nordic France », l’âge d’or de la pratique du ski de fond est en cours de dépôt de bilan.
La filière nordique en question
L’ANCEF est fortement impliquée dans le développement de la filière nordique, un processus inscrit dès 2005 dans la convention d’objectifs signée entre l’ANCEF et le ministère des Sports. Le maître-mot est de ne plus vouloir faire le bonheur des skieurs à leur place. Il fallait quitter la stricte logique aménagiste qui voulait qu’un site nordique soit celui qui propose le plus de kilomètres de pistes tracées, à 6 ou 7 mètres de large. Prendre le contrepied de cette logique, c’était prendre en compte les attentes de la clientèle de diversification, prendre en compte les aspects contemplatifs et ludiques. Certains domaines nordiques avaient déjà engagé cette démarche. Des cafés débats sont organisés sur l’ensemble des massifs, les assises nationales du nordique sont mises en place, le Conseil National du Nordique voit le jour. Il regroupe l’ANCEF, la Fédération Française de Ski, Nordic France, la Fédération Française des Clubs Alpins et de Montagne, la Fédération des Clubs de traineau et le Centre Nordique de Prémanon qui coordonne les actions. Le ministère des sports, le commissariat de massif du Jura, la sous-direction au tourisme aident financièrement cette démarche collective. Ses missions sont dans le droit fil des propositions exprimées lors des cafés débat, assises nationales du nordique, et autres études. Son champ d’action concerne toute la filière nordique. Les activités concernées sont principalement le ski de fond, chiens de traineau, raquettes à neige, ski joëring. Son objectif est de rénover l’image du nordique, perçue comme « vieillotte », « solitaire », ou « trop sportive ». Revaloriser la pratique de l’ensemble des activités nordiques pour qu’elle retrouve sa vraie place.
Le Conseil National du Nordique n’est aujourd’hui plus actif. C’est Nordic France qui a pris le relai et engagé depuis 2019 une étude sur le ski nordique. Une réflexion qui compte tenu des aléas climatiques conclue à l’enjeu de pouvoir passer d’une garantie neige à une garantie activités avec une qualité de services de bon niveau.
Vers un tourisme multi-saisons
La réalité des aléas climatiques et l’évidence d’un réchauffement amènent à se poser des questions sur l’avenir des sports d’hiver. Voilà une trentaine d’années que l’ANCEF et ses structures adhérentes (hébergements touristiques, foyers de ski de fond…) ont mis en place une diversification des activités de montagne proposées dans leurs structures d’accueil. Dans son catalogue « Montagnes au Naturel », c’est plus de 30 propositions de séjours qui sont affichées. Ski de fond, biathlon, randonnée nordique, raquettes, snowkite, chiens de traineau, ski joëring, balades équestres dans la neige, luge, constructions d’igloo, randonnées pédestres, randos-âne, escalade, spéléologie, parcours aventure en forêt, VTT électrique, course d’orientation, marche nordique, canyoning, pêche, paddle, voile, planche à voile, bike Park, canoë kayak, tir à l’arc, séjours découverte de la faune, de la flore, randonnée et ascension glaciaire, trail… La plupart des structures ANCEF sont ouvertes à l’année et mettent en pratique, le fameux « tourisme 4 saisons ».
Et demain ?
L’ANCEF a connu dans ses 20 premières années la présence d’une centaine de centres-école et foyers adhérents. Certains, en basse altitude, ont dû cesser leur activité. D’autres ont choisi de quitter le milieu associatif pour devenir des structures commerciales, certaines avec succès, telles que la Balaguère dans le Val d’Azun, devenue un tour opérateur de grande envergure.
Aujourd’hui l’ANCEF compte une dizaine de structures. Qualité de l’accueil et des prestations proposées, en formule tout compris, convivialité, demeurent la ligne directrice, la marque, le sceau qui scelle ces engagements.
L’ANCEF édite tous les ans sa revue « Présence Nordique ». Distribuée gratuitement sur l’ensemble des massifs français, avec son guide « Montagnes au Naturel », c’est un outil de communication et d’information sur les séjours doux en montagne.
La carte « Passeport Montagne » est une assurance d’un excellent rapport qualité/prix permettant aux adhérents de l’ANCEF de pratiquer les activités de plein air en toute tranquillité.
Depuis 50 ans, l’ANCEF œuvre pour un tourisme à taille humaine, basé sur l’accueil, l’échange, la rencontre des habitants de la montagne et des vacanciers. Consciente des bouleversements climatiques, l’ANCEF et ses centres adhérents font face et imaginent encore et toujours des lendemains chaleureux.
- LES PRÉSIDENTS DE L’ANCEF
- Bernard Gentil de 1971 à 1974
- René Chalon de 1975 à 1979
- Daniel Gautier de 1980 à 1981
- Micheline Pinocelli de 1982 à 1984
- Clément Vincent de 1985 à 1990
- Jean-Claude Francès de 1991 à 1994
- Jean-Yves Dutriévoz de 1995 à 1996
- Jean-Michel Lamielle de 1997 à 1998
- Eric Picot de 1999 à 2021
- Jean-Hubert Vasina 2022
- Vincent Charpentier depuis 2023
Article extrait de la revue Présence nordique n°57 parue en novembre 2022.